Tout le monde a entendu parler de la crise des gilets jaunes. Sans vouloir analyser les causes profondes de cette « jacquerie à la française », il est intéressant de rappeler que la revendication centrale des manifestants est l’annulation d’une augmentation de taxe sur les carburants. En renchérissant petit à petit le prix des produits pétroliers, le gouvernement français souhaitait diminuer la production de CO2 en encourageant les économies d’énergie, l’achat d’appareils moins gourmands et les comportements responsables. Cette « taxe écologique » devait permettre d’anticiper l’augmentation inévitable du prix des énergies fossiles liée à leur raréfaction et lutter, dès aujourd’hui, contre le réchauffement climatique.
En Suisse, ce principe est déjà appliqué. Le prix de l’essence et des énergies de chauffage sont majorées d’une taxe CO2. Environ 2/3 du revenu de cette taxe est reversé à la population (par ex. en diminution des primes maladies) et aux entreprises. Le tiers restant est investi dans le « programme bâtiments » qui promeut des mesures de réduction des émissions de CO2 (subventionnement des assainissements de bâtiments, énergies renouvelables, recherche).
Le Conseil national a mené de grands débats jusqu’en début de cette semaine sur la révision de la loi CO2. En effet, pour respecter les engagements de la Suisse dans les accords de Paris, il est envisagé d’augmenter le prix de la tonne de CO2. Le débat a été vif et il a même été question de la possibilité encore très hypothétique de taxer le kérosène des avions qui échappe encore à toute taxe (Le Temps pdf). Le 11 décembre, le National a refusé cette nouvelle loi sur le CO2 au grand dam des milieux environnementaux. Dans le courant des discussions la taxe sur le kérozène avait déjà été refusée, l’augmentation du prix des carburants limité et les sanctions pour les importateurs de carburants qui ne compensent pas correctement les émissions de CO2 diminuées. Le National avait surtout refusé de fixer un objectif de réduction précis de CO2. Suite à ce refus, la loi va retourner au Conseil des Etats et la décision finale est prévue en 2019. Il est probable que la crise des gilets jaunes en France ait influé sur la décision de certains parlementaires car ils craignaient aussi une forte opposition et la possibilité « q’un référendum anti taxe » soit accepté par le peuple.
Le principe d’une taxe CO2 existe dans d’autres pays sous des formes diverses. Par exemple, la Suède a été la première à introduire une taxe carbone en 1991. En Finlande et au Danemark ce type de taxe existe aussi. En Grande Bretagne, depuis 2001, une taxe sur l’utilisation commerciale ou industrielle de l’énergie est appliquée (les ménages et des associations d’utilité publique ne sont pas concernés).
L’exemple français met surtout en lumière la contradiction entre une transition énergétique nécessaire et les préoccupations immédiates de la population; entre une politique de moyen-long terme et une autre de plus court-terme que les élus sont souvent enclins à privilégier pour des raisons électorales.
Comme le relève le journal anglais The Guardian dans un article titré « how_to_make_carbon_tax_popular_pdf » une province du Canada a introduit en 2008 une taxe carbone avec un remboursement de celle-ci au travers de réductions d’impôt. Cette taxe au « revenu neutre » bien qu’acceptée localement n’a pas été appliquée dans d’autres états canadiens car elle est semble-t-il « diabolisée» dans le débat politique.
Si le modèle suisse prévoit aussi une redistribution, il est peu probable que ce mécanisme puisse résoudre la crise française. En effet la redistribution est générale et ceux qui, parfois par nécessité, doivent beaucoup utiliser leur voiture, ne reçoivent pas un remboursement à hauteur des taxes qu’ils ont versées. Parmi les nombreuses interviews des gilets jaunes on a d’ailleurs beaucoup entendu qu’ils étaient favorables à agir pour le climat mais qu’ils estimaient que l’effort qui leur était imposé était injuste car inégalitaire.
Dans tous les cas, il est évident que des taxes environnementales ne peuvent être imposées sans un minimum d’acceptation de la population. Ceci plaide pour une bonne sensibilisation du public. Ainsi, les campagnes d’information n’ont pas comme unique but de changer directement les comportements. Elles ont aussi comme objectif de mieux faire comprendre les grands enjeux qui sous-tendent les politiques environnementales. Avec une population mieux informée, les efforts demandés ont de meilleures chances d’être acceptés et les modalités de leur mise en place pourront être discutées dans le cadre d’un débat constructif et apaisé.
Un changement_habitutes_rts a montré que 2/3 des suisses étaient prêts à changer leur mode de vie pour contribuer à un monde plus durable. Ceci est réjouissant, mais il n’est pas certain que le résultat du sondage eût été le même si les sondés avaient été informés très précisément des contraintes qui leurs seraient imposées…