Quel que soit leur âge, les élèves que nous rencontrons sont au courant qu’une guerre est menée en Ukraine par la Russie. Même si leur compréhension des événements est très lacunaire, il n’est pas de notre responsabilité d’approfondir ce sujet avec eux. Pour autant, il n’est pas possible d’ignorer ce conflit. En effet, cette guerre est révélatrice de l’importance de l’énergie pour nos sociétés.
En rappelant aux élèves que l’énergie nous apporte du confort mais pose des problèmes de pollution et de ressources, il n’est pas interdit d’ajouter que son importance est telle qu’elle peut être au cœur de conflits armés[i].
Comme chacun l’aura constaté, la guerre russo-ukrainienne met en lumière la complexité et l’importance de l’énergie. Voici, ci-après, une petite synthèse en quelques points.
Une crise révélatrice de notre dépendance aux énergies fossiles
La Russie est un gros producteur d’énergies fossiles que cela soit du gaz, du pétrole ou du charbon. Son économie repose en grande partie sur la commercialisation de ces ressources. Plus les pays occidentaux se fournissent auprès de la Russie est plus ils deviennent dépendants[ii]. Ceci est d’ailleurs révélé par les points de vue très différents entre les pays occidentaux quant à la mise en place d’un embargo sur les exportations de gaz et pétrole russe. L’Amérique (USA) qui se fournit très peu auprès de la Russie pour son gaz et pétrole a décidé seul d’un embargo. L’Allemagne et d’autres pays européens freinent des deux fers car leur dépendance est très forte.
Prix de l’énergie et économie
La crise actuelle a entraîné une augmentation très forte du prix du pétrole et du gaz naturel. Le prix du baril de pétrole s’est même approché de 140$[iii], un niveau jamais atteint depuis 2008; et ce n’est peut-être pas fini. Toutes ces hausses de prix vont inévitablement peser sur la croissance économique mondiale et pourraient à terme entraîner des faillites, en particulier pour les industries les plus dépendantes du prix des énergies. Concernant l’embargo envisagé sur les exportations russes, celui-ci aurait inévitablement comme effet de faire encore monter le prix du gaz et du pétrole au détriment des pays consommateurs. Cet effet pervers est d’ailleurs l’un des arguments qui freine la décision d’imposer un tel embargo. De son côté, la Russie a aussi fait entendre qu’elle pourrait aussi couper l’approvisionnement en gaz. Elle a également prévenu qu’un embargo ferait, selon elle, augmenter le prix du baril à 300$ !
La fragilité du transport de l’énergie
L’Ukraine est un passage principal du gaz russe vers l’occident ce qui en fait un terrain stratégique. Pour contourner ce pays, le gazoduc Nordstream 2[iv] état en construction pour augmenter les capacités d’alimentation directe de l’Allemagne. Ce nouveau gazoduc aurait rendu l’Allemagne encore plus dépendante du gaz russe et la crise actuelle a entraîné la suspension du projet. Cet exemple démontre la fragilité du système de transport qui, si un gazoduc est endommagé ou arrêté, peut provoquer très rapidement une pénurie dans les pays d’Europe de l’ouest. On peut faire le parallèle avec le blocage récent du canal de Suez qui, suite à un simple échouage de navire, a désorganisé tout le transport de marchandises mondial.
La sécurité nucléaire
Même si l’Ukraine est le principal passage de gaz naturel vers les pays de l’Ouest, ce pays compte quinze réacteurs nucléaires produisant plus de 50% de son électricité[v]. Les forces russes ont rapidement pris possession du site de la centrale de Tchernobyl, ce qui a rappelé que l’Ukraine était le territoire qui avait connu le plus grave accident nucléaire de l’histoire. Quelques jours plus tard, la Russie a bombardé un bâtiment administratif de la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus grande d’Europe. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a sonné l’alerte car l’attaque de centrales nucléaires ou de barrages est interdite dans la Convention de Genève[vi] pour les retombées dévastatrices qu’elles pourraient produire.
Les moyens de guerre sont aussi tributaires de l’approvisionnement en énergie
Les forces russes n’ont pas progressé à la vitesse espérée. Une colonne de chars et camions de plus de 60km près de Kief semble faire du sur place. Les raisons avancées par les experts sont diverses (tactique, etc.) mais ils mettent aussi en avant un problème de mauvaise gestion de l’approvisionnement en carburant des véhicules et de la nourriture pour les soldats. Avec les moyens mécanisés modernes, les besoins en énergie sont cruciaux[vii]. On peut d’ailleurs faire le parallèle avec la deuxième guerre mondiale où le pouvoir nazi a manqué, plus la guerre progressait, de carburant pour ses chars et avions ce qui peut expliquer en partie sa défaite[viii].
L’énergie, c’est aussi la nourriture
La Russie et l’Ukraine sont de très grands producteurs de blé qui, dans nos pays, constitue la nourriture de base. En effet, 30%[ix] du blé mondial est produit dans ces régions. Et si nos pays sont en partie dépendants des récoltes de blé, ce sont surtout les pays d’Afrique du nord qui en sont de grands consommateurs. Comme l’augmentation du prix du blé avait été un élément important du déclenchement des Printemps arabes, il y a fort à parier que si le coût du blé prend à nouveau l’ascenseur dans ces régions, des troubles et révoltes pourraient voir le jour[x]. Il est également utile de signaler qu’une grande partie des engrais agricoles chimiques contiennent de l’azote produite à base de gaz naturel.[xi]. La Russie est un grand producteur de matières pour les engrais (ammoniac, roche de phosphates, souffre). Depuis le début de la crise, on assiste ainsi à une flambée du prix des engrais agricoles.
Les économies d’énergie justifiées autrement
Avec ce conflit, il est étonnant de voir ressurgir les conseils d’économie d’énergie non comme moyen de lutter contre le réchauffement climatique et la diminution des ressources mais comme outil de pression sur la Russie ou pour limiter l’impact des augmentations de prix. Ainsi, des commentateurs ont proposé de baisser tous nos chauffages de 1°C pour baisser nos consommations de gaz et pétrole russe[xii]. En France, un expert a calculé que la France pourrait se passer de pétrole russe si les camions et les voitures ralentissaient tous de 10 km/h leur vitesse moyenne, et si tous réduisaient de 10% leur kilométrage annuel.
La crise est utilisée dans les argumentaires
La crise en Ukraine révèle tout particulièrement notre dépendance aux énergies fossiles qui deviennent des enjeux de pouvoir et de pression. Cela a été l’occasion pour certains d’arguer que cela était un raison supplémentaire d’accélérer le développement des énergies renouvelables qui ont l’avantage d’être locales[xiii]. D’autres poussent pour un développement accéléré des forages d’énergies fossiles hors Russie[xiv]. Un commentateur français aurait même fait l’éloge du nucléaire comme moyen de production « local » non dépendant d’un autre pays au contraire des centrales électriques thermiques à gaz.
La hiérarchie de l’information
L’importance de la guerre russo-ukrainienne repousse au second plan des informations pourtant cruciales. Ainsi, le GIEC vient de publier un complément à son dernier rapport qui met en garde contre des effets irréversibles du réchauffement climatique[xv]. Il précise que de 3,3 à 3,6 milliards de personnes sont déjà « très vulnérables ». Cette annonce est passée quasi inaperçue dans le brouhaha de la guerre. On peut alors se demander si la relégation des questions environnementales au profit des risques de pénuries immédiates aura un impact (positif ou négatif) sur le développement des énergies renouvelables et la diminution de nos consommations ?
En conclusion…
Tous ces éléments démontrent la complexité et l’importance de l’énergie dans nos sociétés. Comme déjà précisé, il ne s’agit pas d’entrer dans de grandes discussions avec les élèves, mais il n’est pas interdit de préciser que l’énergie peut constituer un aspect important voir principal de conflits entre nations.
[i] Outre la guerre actuelle en Ukraine on peut citer les deux guerres du Golfe où le contrôle de régions pétrolifères était au centre du conflit.
[ii] 47% du gaz consommé en Suisse provient de Russie https://gazenergie.ch/fr/savoir/detail/knowledge-topic/3-provenance/ [] « Le gaz russe n’approvisionne pas l’Autriche, alors qu’il approvisionne la Finlande à hauteur de 100%. Pour la France, cette part est assez limitée et représente moins de 20%. La France a une grande façade maritime qui lui permet d’importer du gaz liquéfié. En revanche chez nos voisins allemands et italiens, le gaz russe pèse très significativement et représente plus de 50% de leurs approvisionnements en gaz. » https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/la-france-peut-elle-se-passer-du-gaz-russe
[iii] https://www.latribune.fr/economie/international/guerre-en-ukraine-le-prix-du-baril-de-brent-tutoie-les-140-dollars-washington-cherche-a-interdire-les-importations-russes-905543.html
[iv] https://fr.wikipedia.org/wiki/Nord_Stream
[v] https://information.tv5monde.com/info/l-ukraine-pays-tres-nuclearise-au-coeur-des-inquietudes-447288
[vi] https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/ART/470-750071?OpenDocument
[vii] https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/guerre-en-ukraine-quatre-questions-sur-le-convoi-russe-a-l-arret-au-nord-de-kiev-16c758fc-99fe-11ec-9acb-1f509311c936
[viii] Reportage « Comment Hitler a perdu la guerre du pétrole » https://www.dailymotion.com/video/x6b35pp
[ix] https://www.bcv.ch/index.php//pointsforts/Marches/2022/Russie-Ukraine-fermeture-du-grenier-a-ble-de-l-Europe-quel-impact
[x] https://fr.wikipedia.org/wiki/Printemps_arabe#Influence_sp%C3%A9cifique_des_prix_de_l’alimentation
[xi] https://www.pleinchamp.com/actualite/guerre-ukraine-russie-des-consequences-severes-pour-les-engrais
[xii] https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-eco/l-edito-eco-du-mardi-08-mars-2022
[xiii] https://www.latimes.com/business/story/2022-02-26/one-way-to-combat-russia-move-faster-on-clean-energy
[xiv] https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/mar/04/oil-gas-lobbyists-us-ukraine-drilling
[xv] https://www.rts.ch/info/sciences-tech/environnement/12900989-pour-le-giec-la-capacite-dadaptation-humaine-est-de-plus-en-plus-depassee.html